Claude Fecemaz, syndic de la communauté de Beaune en 1503


C’est le premier personnage de la famille Fecemaz à qui l’on peut attribuer une fonction particulière : dans le texte un écrivain de forme à Saint-Jean-de-Maurienne en 1503 ( pages suivantes), Claude Fescémaz est présenté comme syndic de sa commune lors de la rédaction d’un contrat passé avec Pierre Beaumas le 31 janvier 1503, consistant à réaliser un livre pour l’église de Beaune (un graduel). Le texte rappelle qu’à cette époque, la production de ce type de livre est un chef d’œuvre qui demande quatre années de travail. On comprend que pour la communauté qui investit dans cette opération, il s’agit d’une lourde charge : le paiement est fixé en argent (60 florins) et en nature (un demi-quintal de fromage), et il est échelonné au fur et à mesure de la réalisation de l’ouvrage. Le développement de l’imprimerie conduira progressivement à la disparition de ce type de métier, mais il permettra une plus grande diffusion du livre par la diminution de son coût de fabrication.
Le seul Claude Fecemaz qui corresponde au portrait ci-dessus serait né à Beaune vers 1470 et appartiendrait à la cinquième génération en partant de 1350. Il est régulièrement cité dans les reconnaissances signées par ses descendants le 7 mars 1583, avec ses deux frères Antoine et Pierre. L’identité de sa femme n’est pas connue, mais il aurait eu cinq enfants : Pierre né vers 1500, Maurice et Michel nés vers 1505, Antoine né vers 1510 et Pernette née vers 1515. Si on accepte la datation proposée par Noël Bard*, notre syndic en janvier 1503 serait un homme d'une trentaine d'années. Je n’ai pas trouvé d’âge minimum pour exercer la fonction de syndic à cette époque. C’est une fonction élective renouvelée chaque année et qui correspond à celle de maire d’une commune. On peut penser que pour y accéder, il faut cependant un minimum de savoir (lire et compter) et un peu d’argent.
En dehors de cet évènement de 1503, je n’ai rien d’autre sur Claude Fecemaz. Dans un document de propriété de 1547, il est question de « feu Claude », ce qui permet d’avancer qu’il est décédé avant cette date.
 
Source : Histoire des Fecemaz de Beaune, ouvrage de Luc Fessemaz, 2013 page 34 et suivantes.
* Une actualisation des années de naissance a été effectuée à partir des dernières données de Noël Bard, généalogiste de Saint-Julien, le 24 novembre 2024, que je remercie pour son aide.


Les écrivains de forme en Maurienne

La Maurienne ne produisait pas seulement des peintres et des sculpteurs, elle avait aussi des écrivains de forme. On appelait ainsi les artistes en calligraphies qui écrivaient et dessinaient les ouvrages liturgiques, les volumineux missels des églises comme les charmants livres d'heures illustrés, bijoux précieusement conservés dans les bibliothèques des villes et des amateurs.

La Société savoisienne d'histoire (tome XXXVIII) a publié un contrat par lequel un de ces écrivains, Pierre Gros, de Lanslevillard, s'était engagé, en 1439, à fournir un Graduel à l'église d'Albanne. Dans ses Récits Mauriennais (1re série), le chanoine Truchet signale deux autres artistes en écriture : Pierre de Beaumas de Saint-Jean-de-Maurienne et messire Etienne Bertier, prêtre de la paroisse de Puisgros.

Source : L’instruction publique en Maurienne avant la Révolution, par l’abbé Adolphe Gros, 1910, page 25.



Pierre de Beaumas et la vallée de Suse

Un documento redatto a Saint-Jean-de-Maurienne il 18 gennaio 1505, con il quale uno scriba morianense, «magister Petrus de Bello Manso» (Pierre de Beaumas), rilascia quietanza al Comune di Chiomonte per ...

Source : Valle di Susa : tesori d’arte, Gianluca Popolla, U. Allemandi, 2005, 344 pages.

 

PRIX DE COPIE, DE RELIURE ET D'ENLUMINURE AU XVIe SIECLE
UN ÉCRIVAIN DE FORME, A SAINT-JEAN DE MAURIENNE, EN 1503.

Il y a quarante-cinq ans, lorsque l'on arrivait au sommet de cette partie de la rue Beauregard, à laquelle on a donné récemment le nom de rue des Ecoles, sans doute parce qu'elle ne conduit pas aux écoles communales, mais à l'école libre des Sœurs de Saint-Joseph, et que l'on tournait à droite pour entrer dans le chemin de la Torne, on voyait une petite maison précédée d'une petite cour.
Trois cents ans plus tôt, cette maison, une autre qui lui faisait face, la cure et l'église Saint-Christophe, situées un peu plus loin, formaient à elles seules la rue Saint-Christophe. (voir le plan de Saint-Jean-de-Maurienne au XVIe siècle, légendes (21) et (22)). Cette rue était séparée de la ville par une porte que l'on plaçait et que l'on fermait le soir dans les circonstances graves de guerre ou de peste. Il y a une cinquantaine d'années, la petite maison était habitée par une pauvre famille, et c'était notre joie, après l'école, de lui jouer quelque tour inoffensif, dont ces bonnes gens se fâchaient bien fort, mais ne gardaient pas rancune. En l'année 1503, la maison logeait un hôte important, un vrai personnage, un artiste, unique probablement à Saint-Jean, peut-être même dans toute la Maurienne. Il s'appelait Pierre de Beaumas (de Bellomasso) et était écrivain de forme (scriptor forma).
Avez-vous vu des livres d'avant l'invention de l'imprimerie, surtout des livres d'église missels, graduels, psautiers, etc., avec cette belle écriture gothique, ronde, nette, aux caractères fermes et déliés, avec des encadrements variés, des arabesques et de petites figures finement dessinées ? C'était l'œuvre des écrivains de forme, des écrivains auxquels on confiait les écritures destinées à passer à la postérité. Quand le livre était achevé, on le remettait, si l'on était riche, à un peintre qui l'ornait de ces merveilleuses enluminures or et couleurs, dont l'écrivain de forme avait laissé la place.
Pierre de Beaumas était donc un de ces artistes, et il avait bien choisi son habitation. La maison était isolée, il avait tout à côté le jardin et le verger des seigneurs du Pont, et j'aime à croire que les enfants de la ville n'allaient pas le troubler dans ses écritures, comme nous le faisions à son successeur d'il y a cinquante ans. Mais celui-ci était bien loin d'être un écrivain de forme
Pierre de Beaumas travaillait pour les églises, passant sa vie à copier sur parchemin, quelquefois aussi sur papier, qui coûtait moins, des missels, des graduels, des antiphonaires, des psautiers et autres livres. Il y fallait beaucoup de temps, et ses clients ne devaient jamais être pressés. 



Le 31 janvier de cette année 1503, Claude Fecsémaz, syndic de la paroisse de Beaune, se présenta chez l'écrivain qui, en ce moment, devisait avec honorable messire Guillaume Langin le jeune, chapelain de l'église cathédrale de Maurienne il était accompagné de Jean Bertrand et de Jean Michelet, de Villard-Bernon, paroisse de Saint-Michel. L'église de Beaune avait besoin d'un graduel, et il venait, en sa qualité de syndic de la communauté, le commander à maître Pierre de Beaumas. Quand ils furent d'accord sur la manière dont le travail serait exécuté et sur le prix, on porta dans la cour, selon la coutume, une table et des sièges, et, en présence des trois témoins, maître Jacques Portaz, de la paroisse d'Avrieux, habitant en la cité de Maurienne, clerc, notaire public par la double autorité du Saint-Siège et de l'empereur, et juré de toutes les cours de Son Altesse le duc de Savoie, Jacques Portaz, dis-je, rédigea l'acte. Vous me permettrez de le résumer un peu et de supprimer les interminables formules de la fin.
Au nom de la communauté de Beaune, Claude Fecsémaz donne à Me Pierre de Beaumas, écrivain, la charge et le prix fait d'écrire et faire, soit construire un graduel en parchemin suffisant et convenable, dans lequel devront être tous les offices des messes, les proses et les autres choses décrites et spécifiées dans un rouleau de papier écrit et signé de la main du notaire et remis par lui à Me Pierre. Le dit maître promet de faire et construire ce graduel avec les mêmes forme, volume, lettres, notes, enluminures (illuminatura) et marges que celui de l'église paroissiale de Saint-Christophe de la cité, qu'il a fait et construit il le reliera solidement et convenablement et le munira de fermoirs.
Le travail sera achevé dans le terme de quatre ans, pour le prix de soixante florins d'or petit poids, monnaie ayant cours dans le duché de Savoie, le florin valant douze deniers gros même monnaie, et d'un demi-quintal de fromage honnête et recevable, au poids de la cité. Ce prix sera payé par Claude Fecsémaz, qui en fait son affaire propre, pacifiquement, sans procès ni bruit ou figure de jugement, aux termes suivants vingt florins à la Noël prochaine, vingt florins et le demi-quintal de fromage dans le courant de l'année suivante, vingt florins quand le graduel sera terminé et relié, avec intérêts et dépens dans le cas où Me Pierre serait obligé de recourir à la justice. Pour plus grande sûreté, le syndic devra donner caution, à la première réquisition du maître écrivain et avant même que le travail soit commencé.
Dans le cas où, pour cause de mort ou de tout autre empêchement, Me Pierre ne pourrait achever le livre, ce qu'à Dieu ne plaise le syndic, soit la communauté de Beaune devra recevoir ce qui sera fait et payer le prix du parchemin et du travail, après expertise faite par des maîtres écrivains ou des gens entendus dans cet art. Si la somme déjà reçue surpasse le prix de l'estime, Me Pierre ou ses héritiers devront restituer le surplus et, pour cela, Me Pierre devra, en recevant le premier et le second paiement, prendre ses précautions, pour que la restitution soit opérée le cas échéant. Enfin les parties prêtent serment sur l'Evangile d'observer les susdites conventions, se donnent réciproquement hypothèque sur leurs biens et renoncent expressément à toutes dispositions légales qui leur permettraient de violer les obligations contractées.
Voilà comment contractaient nos aïeux et par quelles précautions minutieuses ils tâchaient d'éviter les contestations et les chicanes. Pour les moindres conventions il fallait le notaire, les témoins, l'acte fait sur la place publique ou dans la rue, et les points sur tous les i. Ajoutons vite qu'en ces temps barbares le timbre et l'enregistrement n'étaient pas inventés et que les droits du notaire étaient minimes celui-ci se rattrapait sur la quantité des actes qu'il recevait.
Le prix du graduel de l'église de Beaune équivaudrait aujourd'hui à plus de 500 francs (de 1890). Grâce à l'imprimerie, il ne coûterait pas présentement le sixième de cette somme, mais il serait en papier et n'aurait pas les belles initiales et les fines arabesques du maître écrivain.
Nous retrouvons maître Pierre de Beaumas mentionné dans un contrat de l'année 1514.
Il avait fait une convention avec les syndics de Saint-Julien « 1° de faire, écrire et noter bien, convenablement et dûment, de sa propre main, à la gloire et à l'honneur de Dieu tout puissant, de la sainte Vierge Marie, de saint Julien martyr, leur patron, et de tous les saints, pour la réparation et la décoration de leur église paroissiale, l'avantage et l'honneur des habitants, un livre appelé graduel à l'usage de l'église de Maurienne, avec lettres, encre et parchemin de bonne, honnête et suffisante qualité, le tout conforme à un feuillet de parchemin, contenant le commencement de la messe de saint Jean-Baptiste, que le dit maître Pierre, écrivain de la lettre de forme, a envoyé comme spécimen aux syndics et procureurs de Saint-Julien. ce graduel sera semblable à celui de l'église de Modane 2° d'écrire et noter, aussi de sa propre main et avec les mêmes lettres, encre et parchemin, un livre appelé processionnal. Le tout devra être achevé dans le terme des quatre années prochaines venant. »
Le prix pour les deux livres était de 140 (sept vingts) florins d'or petit poids de douze deniers gros, payables par la commune.
Mais Pierre de Beaumas était mort, après avoir fait le processionnal et le tiers du graduel, qui furent acceptés. Les héritiers reçurent pour ce travail quarante florins d'or. De plus, le syndic Antoine Dominique se chargea de revendre le parchemin que Pierre de Beaumas avait acheté pour l'achèvement du graduel.
Messire Etienne Bertier, prêtre de la paroisse de Puisgros (dans le massif des Bauges), se présenta pour terminer l'œuvre du maitre écrivain, et le 21 mars 1514, la commune, représentée par les syndics, fit avec lui une convention. Elle porte les mêmes clauses et conditions que l'ancienne. En outre, il est stipulé que messire Etienne Bertier écrira et notera dans le graduel tout l'office du Saint-Suaire et de saint Sébastien et l'office de la grand'messe de saint Julien. Il a deux ans pour faire ce travail et recevra cent florins en trois payements. Mais il est obligé de prendre le parchemin de Pierre de Beaumas, au prix dont il conviendra avec le syndic. Cet acte est fait au bourg de Saint-Julien, dans le verger de noble Pierre de Chateaumartin, par le notaire Jean Salin, de Saint-Julien. Les principaux témoins sont noble Pierre Stévenin, châtelain de Maurienne noble Claude Biol, clavaire de Maurienne; et vénérable messire Pierre Bibet, vicaire de la cure de Saint-Julien, et Etienne Bal, curé de Montdenis.
Si le lecteur se demande où les habitants de Saint-Julien prenaient l'argent nécessaire pour l'achat de ces livres, et même pour toutes les dépenses du culte et de l'entretien de l'église, je le lui dirai dans un de mes récits sur cette commune, et il verra que ce n'étaient pas, à proprement parler, eux qui le fournissaient, mais plutôt les ours, les loups et les autres bêtes ravissantes des forêts communales, avec privilège des ducs de Savoie et des rois de France. (Allusion de l’auteur au droit de chasser les bêtes féroces accordé par le conseil ducal de Chambéry le 3 novembre 1529, et renouvelé par le roi de France Henri II en 1557).
Pierre de Beaumas est mentionné, avec son titre d'écrivain de forme, dans le second obituaire du Chapitre de la cathédrale, comme débiteur de cent florins et d'une distribution à faire dans le chœur, pour l'obit de messire Michel Brun, chapelain de la cathédrale, qui l'en avait chargé par acte du 14 janvier 1491.
Il mourut donc vers l'année 1515, et il est à présumer qu'il fut le dernier écrivain de forme, pour les livres, en Maurienne. En l'année 1512, Mgr de Gorrevod faisait imprimer à Lyon le bréviaire du diocèse de Maurienne. On voit, par les procès-verbaux des visites pastorales de Mgr de Lambert, qu'en 1571 un grand nombre d'églises possédaient des livres de chœur en papier et imprimés, mais qu'on se servait encore assez généralement des anciens livres en parchemin manuscrits. J'ai le regret de n'avoir encore pu mettre la main sur aucun des livres écrits par l'artiste écrivain de forme de la rue Saint-Christophe. Espérons qu'on en découvrira un jour un exemplaire entier et bien conservé qui permette d'établir d'une manière certaine le prix de copie d'une page de grandeur déterminée.
Source : Revue savoisienne, 1890 - page 13 et suivantes.

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