La peste à Villargondran en 1630

 Mes ascendants ROSTAING à Villargondran vers 1630

     Jusqu'à présent je n'ai publié sur ce blog consacré à l'histoire de la Maurienne et à ma généalogie que des articles sur les paroisses de Beaune et d'Epierre. Aujourd'hui je vous propose un petit détour par Villargondran. En recherchant des ascendants sur les registres de Saint-Jean-de-Maurienne, j'ai découvert que Colette ROSTAING, mon sosa 2109, mariée depuis environ 1625 avec le maître cordonnier Louis ODOMARD et vivant depuis lors dans la cité de Saint-Jean était née vers 1600 à Villargondran, paroisse voisine en remontant le cours de l'Arc. J'ai alors parcouru les registres du diocèse de Maurienne concernant Villargondran : les premiers registres remontent à mai 1628 (3E 280), il y a une lacune pour la période 1631-1632 et on dispose ensuite d'une série continue de mai 1632 à avril 1636 (1). J'ai retrouvé plusieurs actes (baptêmes, mariages, sépultures) concernant la famille ROSTAING à Villargondran car Colette à plusieurs frères et sœurs qui sont restés vivre dans son village natal : Alban, Jacques, Françoise, Louise ; alors que d'autres comme elle sont partis pour le bourg de Saint-Jean : Pierre et Antoine. On peut penser qu'ils sont tous nés à Villargondran car le prénom d'Alban est celui du saint patron de l'église du lieu. Les parents de ces sept enfants sont Jean ROSTAING né vers 1575 et Claudine dont on ne connait pas le nom de famille car dans les premiers registres les prêtres n'indiquaient pas le nom de l'épouse. Le patronyme de ROSTAING est fréquent en Maurienne, mais il n'est pas originaire de Villargondran car il ne figure pas au recensement pour la gabelle du sel de 1561, et l'implantation locale de la famille n'est pas durable car il est absent deux siècles plus tard du recensement pour la gabelle de 1759 (2). Mon intérêt pour l'ensemble de la paroisse s'est renforcé quand j'ai découvert que Jean ROSTAING est décédé le 27 septembre 1630, en pleine période de peste. Je vous propose pour cela une étude statistique de la période 1628-1636 afin de cerner l'ampleur de l'épidémie sur cette paroisse.

 (1) Les registres du diocèse de Maurienne sont tenus par les curés et les vicaires en latin,  jusqu'à l'invasion de la Savoie par la France en septembre 1972. Ils ne suivent pas l'année calendaire, mais sont à cheval sur deux années : il commencent fin avril ou début mai et se terminent à la même période de l'année suivante. Cela correspond à la période entre deux fêtes de Pâques, car les prêtres doivent faire une copie du registre original et la remettre chaque année au greffe de l’Évêché, au moment de la fête de Pâques.

(2) D'après le remarquable ouvrage : Les noms de famille mauriennais, origine et localisation d'après la consigne du sel de 1561. Danier DÉQUIER, Jean Marc DUFRENEY, Marie-Claire FLORET, Jean GARBOLINO, Ginette PARET, Imprimerie ROUX, décembre 2000.

Tableau statistique de la peste à Villargondran en 1630

    " Aux XIVe et XVe siècles, la Maurienne avait été désolée plusieurs fois par la peste, mais ce fléau n'avait jamais été aussi violent, aussi meurtrier, aussi généralisé qu'il le fut en 1630. Aucun autre n'a laissé un souvenir aussi profond et aussi affreux. Dès 1629, la peste avait envahi la Provence, le Dauphiné, le Lyonnais, la Franche-Comté et le Vallais. En Maurienne, elle n'éclata que dans les derniers jours de juin ou les premiers de juillet. Elle avait été apportée par les troupes qui revenaient du Montferrat, où le fléau sévissait depuis une année. Le cardinal Billiet, ancien évêque de Maurienne, qui avait pu consulter les archives de l'évêché de Maurienne, a publié, dans les Mémoires de l'Académie de Savoie (1837), le tableau des décès dans les cinquante-deux paroisses dont on a conservé les registres mortuaires. Le total s'élève à 3.403 décès pour une population approximative de 40.500, ce qui fait une moyenne de 83 par 1.000 habitants (3)." 

(3) Extrait du Chapitre XVIII La peste de 1630, page 179, dans Histoire de la Maurienne, Tome II, par la Chanoine Adolphe Gros, édition initiale 1946, réédition 2010.

    La cote 3E 280 en ligne sur le site des Archives de Savoie permet de consulter les registres des paroisses du diocèse de Maurienne pour la période 1630-1631. En ce qui concerne Villargondran, le premier acte est un baptême célébré le 9 avril 1630 (vue 94/300) et le dernier acte chronologique est un mariage célébré le 29 avril 1631 (vue 95/300). Au niveau des sépultures, j'ai recensé 32 enterrements dont voici la transcription dans l'ordre de rédaction du registre :

  • Le 9 août est enterrée Pernette épouse de Jean ROLET
  • Le 14 août est enterrée Louise veuve de Bon MOTTARD (patronyme originaire d’Albane)
  • Le 20  novembre est enterré noble Guillaume RAPIN
  • Le 30 décembre 1630 est enterrée Martine fille de feu Étienne OUDIN (?)
  • Le 7 mars (1631) est enterrée Barthélémie fille d’égrège Michel EXARTIER
  • Le 10 août 1630 est enterrée Jeanne épouse de Georges EXARTIER
  • Le 11 août est enterré Martin DEOLLIN fils d’André DEOLLIN (?)
  • Le 22 août est enterrée Pernette fille de Blaise FALCOZ
  • Le même jour est enterré Laurent EXCOFFIER
  • Le même jour est enterrée Pernette fille dudit Laurent EXCOFFIER
  • Le même jour et année est enterré Guillaume ROLET
  • Le même jour 22 août 1630 est enterrée Jeanne fille de Jean ROLET
  • Le 23 août 1630 est enterré Jean ROLET
  • Le 25 août 1630 est enterrée Françoise veuve de Germain OUDIN (?)
  • Le 27 août 1630 est enterrée Françoise épouse de Michel POMARD
  • Le 28 août est enterrée Louise épouse de Claude LAMBERT (?)
  • Le 28 août 1630 est enterrée Laurence fille de Michel POMARD
  • Le 5 septembre 1630 est enterrée Georgine fille de feu Laurent EXCOFFIER
  • Le 6 septembre est enterrée Catherine veuve d’Antoine LASARD (?)
  • Le 6 septembre est enterré Étienne fils de François ROLET
  • Le 12 septembre 1630 est enterré Claude LAMBERT
  • Le 14 septembre 1630 est enterrée Jacquemine veuve de Pierre CULLIERAT
  • Le 19 septembre est enterrée Jeanne fille de feu Martin ROLET
  • Le 22 septembre est enterré Étienne OUDIN (?)
  • Le même jour est enterrée Pernette fille de noble Guillaume RAPIN
  • Le 23 septembre 1630 est enterrée Claudine veuve de Pierre ?
  • Le 24 septembre 1630 est enterrée Antoinette épouse de François ROLET
  • Le 26 septembre 1630 est enterrée Claudine fille d’égrège Claude DEOLLIN notaire
  • Le 27 septembre 1630 est enterré Jean ROSTAING
  • Le 2 octobre 1630 est enterré Étienne GARSAZ
  • Le 10 octobre 1630 est enterré François ?
  • Le 20 octobre 1630 est enterré Jean PAPOZ fils de Louis PAPOZ
  • Le 20 novembre est enterré noble Guillaume RAPIN (répétition de l’acte)

    Le décompte de l'étude du Cardinal Billiet qui figure à la fin des registres vue 299/300 comporte des erreurs car on trouve 14 décès en août au lieu de 12, et 12 en septembre au lieu de 13, un seul en novembre car il y a l’acte double de noble Guillaume RAPIN. Le total des décès est de 32 et non 31. (dans la liste, les chefs de famille qui comptent deux ou trois décès sont soulignés, voir aussi le tableau plus bas dans l'article où ils sont en couleur)

    L'étude de la répartition des décès sur la période montre que la surmortalité se concentre sur les mois d'août avec 14 enterrements et septembre avec 12 enterrements. Par la suite il y a encore 3 décès en octobre, et on tombe à un seul décès en novembre, décembre et mars 1631. Pour ces derniers décès, il n'est pas possible de les attribuer à l'épidémie de peste car les causes de décès ne sont pas inscrites sur le registre. 

 
   Si l'on passe à une étude plus fine, on observe une première vague de 4 enterrements du vendredi 9 août au mercredi 14 août.  Après un répit d'une semaine, on repère une seconde vague de 10 enterrements du jeudi 22 août au mercredi 28 août, le paroxysme de l'épidémie se situant le jeudi 22 août avec 5 enterrements. Nouvelle pause d'une semaine, puis on retrouve 3 enterrements les 5 et 6 septembre, 2 enterrements les 12 et 14 septembre, 1 enterrement le 19 septembre. On distingue une troisième vague de 6 enterrements du dimanche 22 septembre au vendredi 27 septembre. L'épidémie semble ensuite ralentir puisqu'on ne compte que 3 enterrements en octobre avec un espacement qui passe de 4 à 9 jours. Par la suite, il est possible que l'épidémie soit terminée à Villargondran, mais il faudrait disposer d'autres informations pour savoir si les 3 enterrements de novembre, décembre et mars 1631 correspondent à des décès ordinaires.

    D'après l'étude de 1837, la population de Villargondran (4) était de 406 habitants en 1630, ce qui en fait une petite paroisse en Maurienne. Il semble cependant qu'il y ait eu un accroissement important de population sur les décennies précédentes car le recensement pour la gabelle du sel de 1561 ne compte que 226 habitants (un accroissement de 180 habitants en 69 ans est surprenant dans un contexte de guerres et d'épidémies, il y a peut-être une sous-estimation dans les recensements alors que les rôles fiscaux sont plus réalistes), et deux siècles plus tard au recensement de 1759 le décompte est de 266 habitants.  

 (4) " Le nom de ce village rappelle-t-il celui du roi Gontran, fondateur du diocèse de Maurienne ? C’est possible, mais rien ne le prouve, d’autant plus que le nom de Guntramnus, Gontran est assez répandu au temps mérovingien et au Moyen-Age ". Source : Adolphe Gros, Dictionnaire étymologique des noms de lieu de la Savoie, nouvelle édition 2004, page 502.

Si l'on entre dans le détail des patronymes et des statuts familiaux, le tableau ci-dessous montre que les 32 décès se répartissent dans 23 familles. Si l'on retient une moyenne de 3,75 personnes par feu, on obtient une estimation de 108 feux (familles) en 1630. Cela permet d'avancer qu'environ 20% des familles, soit une famille sur cinq a été touchée par un décès en 1630. Le déchiffrage de l'écriture tourmentée du vicaire Pierre A CAUSTA qui a rédigé le registre n'a pas permis d'identifier avec certitude tous les patronymes des décédés (voir plus haut l'image du registre). On y trouve les noms de famille présents à Villargondran depuis au moins 1561 comme CUILLIERAT, EXARTIER, GARSAZ, OUDIN ? (ODDIN), PAPOZ, POMARD, RAPIN, ROLET. On retiendra que malgré les mesures de confinement de l'époque (traditionnellement on séquestre les suspects dans leur maison ou on les isole dans des cabanes à l'extérieur du village, on pratique la quarantaine et on contrôle ou interdit les déplacements, on enterre les morts en dehors du cimetière loin des maisons et des chemins publics), la forte contagion de la maladie et l'impuissance de la médecine font que souvent plusieurs membres d'une même famille sont emportés. Deux familles ont perdu trois membres :  C'est le cas de Jean ROLET dont l'épouse Pernette ouvre le cycle des enterrements le vendredi 9 août, dont la fille Jeanne est enterrée deux semaines plus tard le jeudi 22 août, et qui est lui-même mis en terre le lendemain ; c'est aussi le cas de Laurent EXCOFFIER qui est enterré le jeudi 22 août, le même jour que sa fille Pernette, et dont on enterre deux semaines plus tard le jeudi 5 septembre une autre fille Georgine. Cinq familles ont perdu deux membres : le 27 août Michel POMARD enterre son épouse Françoise et le lendemain c'est le tour de sa fille Laurence ; le 28 août Claude LAMBERT enterre son épouse Louise et deux semaine plus tard il succombe à son tour le 12 septembre ; le 6 septembre François ROLLET enterre son fils Étienne et il perd son épouse Antoinette le 24 septembre ; en fin d'épidémie sont enterrés Étienne OUDIN le dimanche 22 septembre et trois mois plus tard sa fille Martine le dimanche 30 décembre ; la mort n'épargne aucun milieu social et la noblesse qui représente en moyenne à peine plus d'1% de la population  de Savoie (5) est aussi frappée à travers l'illustre famille RAPIN (6) : noble Guillaume RAPIN enterre sa fille Pernette le 22 septembre et il est a son tour enterré deux mois plus tard le 20 novembre. Il est probable que sa fille soit morte de la peste car la date de son décès correspond à la troisième vague qui frappe la paroisse fin septembre, par contre pour son père décédé âgé de 61 ans, la cause de sa mort est plus incertaine. Il faut retenir que Guillaume RAPIN est le descendant d'une famille anoblie en 1489, d'après les généalogistes il serait né dans leur fief de la Chaudane à Valloire vers 1569. A seulement 26 ans, il est élu à Saint-Jean-de-Maurienne syndic de la noblesse de Maurienne. Il avait déjà perdu un fils Pierre en début d'année le 12 avril 1630, mais il laisse cependant 7 enfants, dont 4 fils et 3 filles. On notera enfin les décès de 2 filles de notables : Claudine la fille du notaire Claude DEOLLIN est enterrée le 26 septembre et Barthélémie la fille du notaire Michel EXARTIER est enterrée le 7 mars 1631 (Pour cette dernière, la cause du décès est incertaine car la date est éloignée de l'épidémie).

(5)  La Savoie au 18e siècle. Noblesse et bourgeoisie, Jean NICOLAS,1978. Cette thèse monumentale est la référence pour l'étude de la Savoie d'Ancien Régime.

(6) Les RAPIN et leur légende. La légende de Sainte Thècle. Article du site de Maurienne Généalogie http://mauriennegenealogie.besaba.com/Sainte%20Thecle.htm


    L'analyse de la répartition par sexe et par statuts familiaux des 32 décès montre que la mort n'a pas frappé indifféremment : on compte 20 décès féminins (67,5%) contre seulement 12 décès masculins (37,5%). Ce déséquilibre se retrouve au niveau des statuts familiaux où l'on recense 10 décès d'épouses et de veuves (31,2%) contre 9 pères de famille (28,1%), et 10 décès de filles (31,3%) contre seulement 3 de fils (9,4%). On peut avancer que la peste a emporté les personnes les plus fragiles, les enfants et les personnes âgées, le plus souvent de sexe féminin.

    On terminera cette étude statistique par une comparaison dans le temps et dans l'espace afin d'apprécier l'ampleur de la surmortalité liée à la peste en 1630 à Villargondran. Si on neutralise la période 1630-1631 marquée par l'épidémie, les registres disponibles de 1628 à 1636 montrent que la moyenne annuelle des naissances est de l'ordre de 15 (14,7) et que l'on compte de 5 à 6 décès par an.  (5,5). On peut donc estimer que sur 32 décès en 1630, au moins 26 sont liés à la peste, autrement dit les décès ont été de 5 à 6 fois plus élevés que d'ordinaire. On remarquera que sur la période étudiée le solde naturel (naissances - décès) est nettement positif avec 29 personnes en plus. Alors qu'il y avait une relative stagnation de la population les deux années avant l'épidémie, on observe un rebond des naissances après la crise démographique, lié en partie à un nombre plus élevé de mariages. Il semble ainsi que le désir de vie l'emporte sur la mort.

    On peut conclure que Villargondran n'a pas été épargnée par l'épidémie de peste en Maurienne en 1630. Le taux de mortalité de 7,9%* est comparable à celui d'Albanne (7,8%), mais il est un peu moins élevé à Abiez-le-Jeune (6,4%) et plus élevé sur l'autre rive de l'Arc à Saint-Julien (11,4%). Au début de cet article on a cité le chiffre de 8,3% pour l'ensemble de la Maurienne, cela place Villargondran un peu en dessous de la moyenne des 52 paroisses étudiées, mais très en dessous des taux extrêmes observés à Modane (48,4%) et Lanslebourg (34,5%) en Haute Maurienne, et Aiguebelle  (44,3%) en Basse Maurienne (7).

(7) * Le taux de mortalité pour Villargondran est de 7,6% sur la carte car il est calculé avec 31 décès alors que le décompte effectué en trouve 32. Pour compléter le sujet vous pouvez relire les articles consacrés à la peste sur ce blog (le moteur de recherche vous permet de les retrouver).

Vous pouvez consulter le ficher Excel qui contient les tableaux et les graphiques de l'article : https://drive.google.com/file/d/1qVlzblN-BcRcdzN7sbYB8DpC0Xcs75mm/view?usp=sharing

Pour en savoir plus sur Villargondran :  


 

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